Sans fausses notes
- Franck Moreau
- 13 nov. 2024
- 6 min de lecture
Le 27 Novembre prochain sortira le film « En Fanfare » d’Emmanuel Courcol, qui avait ému lors de sa présentation lors du dernier festival de Cannes, nous avons eu l’occasion de le voir dès le 29 Octobre, près d’un mois avant sa sortie officielle, au TAP Poitiers, en présence de l’acteur Benjamin Lavernhe de retour dans sa ville natale.
Retour sur cette soirée, le film et les échanges avec Emmanuel Courcol et Benjamin Lavernhe
Une ambiance folle
Tout d’abord, comment ne pas relever l’atmosphère avant, pendant et après cette projection. Durant toute cette soirée, les sept-cents privilégiés dans cette salle dédiée habituellement au théâtre ont eu l’occasion de beaucoup s’exprimer, d’interagir, de vibrer comme rarement j’avais eu l’occasion de le voir lors de pareil évènement.
Est-ce un phénomène à relier à l’ouverture faite par le programmateur du TAP Jérémie Pottier-Grosman, ancien camarade d’Hypocagne de Benjamin Lavernhe ? Ou encore la personnalité attachante et détonante du réalisateur Emmanuel Courcol et la complicité avec celui qui incarne son personnage ? Ou enfin tout simplement parce que ce film a su trouver les ingrédients pour autoriser cela à son public ?
Sans doute que la réponse est en partie dans tous ces éléments, et dans la sincérité et l’authenticité qui l’a accompagné, comme en témoigne l’auto-dérision dont le poitevin a fait preuve pour à la fois aborder la récente polémique liées aux révélations autour de l’Abbé Pierre, et sa capacité à vite recentrer les débats sur le film qu’il était venu défendre, le tout en une seule phrase :
« Thibaud Desormaux (son rôle dans « En Fanfare ») est un personnage fictif, donc à priori je devrais être tranquille à moins qu’il y en ait un dans la salle ! »
Une belle habilité et une belle formule pour évacuer un sujet qui l’entoure bien malgré lui, et qu’il ne peut maitriser pourtant, alors que l’on pourrait imaginer une légitime déception quant à l’investissement nécessaire pour apparaitre dans ses traits à l’écran, dans un film qui a désormais les plus grandes chances d’être blacklisté par la TV, sacrifié sur le nom moins légitime autel du respect dû aux femmes, éclipsant par la même occasion sa performance d’acteur dans ce biopic.
Qu’importe, car ce nouveau film concocté par Emmanuel Courcol va sans aucun doute lui donner encore l’occasion de briller, tant son duo avec Pierre Lottin est à la fois détonnant et juste.
L’histoire de deux frères adoptés et séparés dans des milieux sociaux différents, sans connaissance de cet élément essentiel à leurs histoires. La maladie de l’un va tout révéler et entrainer un incroyable enchainement de rencontres et de moments de vérité, avec pour fil conducteur la musique, venant accompagner les évolutions de l’ensemble des personnages.
« Le point de départ de la comédie est bien ce télescopage entre ces deux frères, qui installe la situation. L’univers de la musique est certes important mais il permet surtout d’ouvrir les portes sur tous les thèmes abordés dans ce film. Pour le casting, si j’ai d’emblée écrit un rôle sur mesure pour Pierre Lottin que j’avais déjà dirigé dans « Un triomphe » (2021), le choix de Benjamin n’est devenu une évidence que lorsque nous avons modifié le scénario pour que le chef d’orchestre soit finalement le frère ainé » explique Emmanuel Courcol.
Tel Laurel et Hardy, ou Bourvil et De Funes dans « le Corniaud » ou « la Grande Vadrouille », Ventura et Brel dans « l’Emmerdeur » ou encore Maxime Gasteuil et Romain Lancry dans le récent « 14 jours pour aller mieux », le duo Lavernhe / Lottin accompagné par l’énergie et la douceur de Sarah Suco fonctionne à merveille.
Une relation sans doute facilitée là aussi par la musique, qui a permis un délicieux moment à quatre mains sur un piano que l’on ne peut que vous recommander, mais surtout par le travail fourni par chacun pour que tout paraisse aussi simple à l’écran.
Les textes tout d’abord.
Emmanuel Courcol a réalisé une écriture ciselée, millimétrée, qui est devenue une vraie musique dans la mise en œuvre lors du tournage. Derrière la caméra comme derrière la baguette d’un chef d’orchestre, il a donné le tempo d’un film, permettant aux spectateurs de ne pas perdre une seule miette du texte, et d’en savourer tout l’équilibre avant de pouvoir réagir.
« Le texte est important, il constitue le fil de l’histoire bien sûr, mais il faut aussi laisser une certaine liberté aux acteurs pour ne pas se priver d’une trouvaille. Aussi je laisse tourner la caméra, et de toute façon je fais ce que je veux après au montage ! » explique Emmanuel Courcol dans un sourire.
« Emmanuel est un réalisateur rassurant qui nous a donné confiance dans notre jeu. Le tournage est la critique du scénario pour nous acteurs, mais il nous a montré qu’il savait où il allait. J’avais été séduit à la réception du projet par les répliques chorales qui s’entremêlaient, c’était la promesse de quelque chose de bien. Comme toujours, il nous faut deux visionnages une fois le projet monté pour apprécier le produit fini, et c’est lors de ce deuxième visionnage que je suis tombé dans ses bras » appuie Benjamin Lavernhe.
« Benjamin est un acteur créatif et plein de fantaisie » lui renvoie son réalisateur
Un travail pour la crédibilité des rôles
Au-delà d’être créatif, le Poitevin est également un hyperactif pour rentrer dans ses rôles aussi bien au théâtre qu’au cinéma. Sa transformation dans le biopic abordé en début de ce sujet était phénoménale, sa mue en chef d’orchestre classique l’est tout autant, et a demandé un travail de préparation bien en amont.
« Il fallait apprendre l'illusion, et être en capacité de réaliser une chorégraphie comme un Claudio Abbado et ou encore un Seiji Ozawa. Pour avoir le bon geste, j’ai travaillé avec un coach, et nous avons également pu bénéficier des conseils du compositeur Michel Petrossian, qui a aidé à écrire en amont certaines scènes techniques et nous a donné des clés pour le tournage.
Avec un résultat bluffant à l’écran, Benjamin Laverhne rejoignant la famille des acteurs ayant incarné un chef d’orchestre. Comme Louis de Funès dans la Grande Vadrouille (alias Stanislas Lefort) offrait une scène d’anthologie ou plus récemment Pierre Arditti et Yvan Attal dans Maestro, l’acteur Poitevin livre une prestation plus que réaliste et authentique, grâce à ce travail décrit plus haut.
« La scène d’ouverture du film était la première de ce tournage, j’avais énormément le trac. Il fallait valider que je m’étais assez préparé pour à minima avoir le bon lexique, le bon vocabulaire et l’aisance pour faire face à un ensemble de soixante dix musiciens qui étaient en fait mon premier public et les premiers à me juger en chef ! .
Le verdict et le plus beau compliment m’est arrivé en fin de journée :
Tu sais Benjamin, il nous est arrivé d’avoir été plus mal dirigé ! »
Des mots qui semblent avoir été accueilli comme une reconnaissance et un encouragement à aller plus loin.
« En France on a deux mois pour préparer un rôle quand il arrive d’avoir trois ans aux USA pour des rôles exigeants. Pour être efficace, il a fallu bloquer nos agendas, car je jouais en parallèle au théâtre et je m'exercais durant les pauses. J'ai continué à m'exercer durant le tournage. Le travail d’un chef d’orchestre est vertigineux, mais je me suis senti à l'aise au fur et à mesure » confie l’acteur.
Benjamin Laverhne ne démarrait pas totalement de zéro avec la musique
« Comme tout le monde, j’ai eu une flûte à bec à l’école (rires), et aussi à la maison, où j’ai eu la chance d’avoir une guitare puis une batterie. Avoir l’oreille musicale m’a aidé pour ce rôle et m’a donné confiance pour avoir le courage et l’audace de jouer un chef, même si pour autant je ne sais toujours pas lire la musique » complète Benjamin Laverhne.
Une adaptation à la musique qui a été également facile pour les autres acteurs.
« Pierre Lotin n’est pas tromboniste mais pianiste, mais il a vite pigé le truc, suffisamment pour jouer avec l'ensemble, comme Sarah Suco à la trompette. Pour les autres membres de la fanfare, ce sont déjà des musiciens, je n’ai pas ouvert d’école de musique (rires) » explique Emmanuel Courcol
« Pour trouver la fanfare, nous avons fait le tour de plusieurs durant la préparation du film, et nous sommes arrivés à l’Harmonie Municipale des Mineurs de Lallaing (59). Nous sommes arrivés en plein répétition, c’est la même atmosphère que les spectateurs pourront retrouver à l’écran. L’histoire se poursuit avec cette fanfare, que nous avons emmené jusqu’au Festival de Cannes, et avec qui nous gardons le lien bien au-delà de la sortie du film » décrit Emmanuel Courcol, qui avoue avoir imité Karajan dirigeant un morceau de Beethoven quand il avait treize ans.
"Ce film ouvre beaucoup de portes grâce à la musique"
« La musique permet d’entrer dans plusieurs sujets, et sert de fil conducteur aux différents thèmes abordés dans ce film (la fraternité, l’amour, les difficultés sociales…). Lors de nos repérages, nous sommes allés dans l’usine de meubles en liquidation qui sert au décor d’une partie du film, nous avons rencontré les délégués syndicaux qui nous ont remercié de parler de cela, car les fermetures d’usines font partie de la vie d’un territoire. C’est important pour moi de transmettre la vie à tous les niveaux dans un film, car pour moi la vie est pleine de surprises et de possibilités » concluait Emmanuel Courcol qui a eu le plaisir de diriger sa fille Mathilde dans ce film, une prestation simple qui a semblé avoir pourtant échappé au public poitevin, qui a pu finir cette soirée avec la fanfare du groupe La Dépanneuse.
Une soirée bien remplie et pleine de joie, et un film que vous pourrez retrouvez le 27 novembre sur les écrans, réservez votre soirée et vos billets, vous ne le regretterez pas !
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